(im)mobilités

(im)mobilités est une exposition qui propose un voyage dans les imaginaires, l’espace et le temps. Elle se décompose en quatre zones d’action ou d’observation : des cadres fixés aux murs présentent des Instants, peintures en mouvement du temps ; dans la salle déambule un robot humanoïde avec lequel les visiteurs peuvent intervenir et dialoguer naturellement. Celui-ci est animé en temps réel par la créatrice Sophie Sakka ; au centre de l’espace d’exposition, un écran géant diffuse l’interprétation artistique des données du robot, modifiées en temps réel par l’artiste Hervé Penhoat ; enfin, une seconde pièce révèle les technologies utilisées, dans un espace où sont exposés les deux créateurs, comme deux autres objets à découvrir : mobiles et inaccessibles.

Dans ce voyage, les visiteurs sont entrainés entre imaginaires et réalité, entre immobilité et mouvement, entre possibilités et croyances : un voyage qui interroge et questionne ses propres convictions, à l’ère de la révolution numérique.

La plaquette au format pdf.

Rencontre entre Robotique et Art

L’expérimentation présentée croise les travaux de deux chercheurs : une roboticienne (Sophie Sakka) et un artiste (Hervé Penhoat). Il s’agit d’observer d’une part en sciences, d’autre part dans la création artistique, la réduction d’informations et ses conséquences pour appréhender un contexte à travers la réduction du cadre visuel.

Sophie Sakka est spécialisée en robotique humanoïde et en cybernétique, entre l’être humain et la machine humanoïde. Elle s’intéresse entre autres à l’imitation des mouvements humains par un robot humanoïde en temps réel, dans l’objectif, à terme, de réaliser des prothèses autonomes pour le système locomoteur humain. Elle mène aussi une recherche sur l’insertion des robots dans notre quotidien et l’impact de cette insertion sur le fonctionnement de notre société. Hervé Penhoat s’attache à repenser le cadre utilisé par l’artiste. Qu’il s’agisse de celui de la photographie, ou bien de celui de la vidéo, les deux médiums se retrouvent devant une même finalité. Celle d’un rectangle à l’italienne permettant un regard séquentiel sur le monde.

Deux situations sont confrontées : la première concerne l’acte artistique, où le cadre réduit focalise la scène choisie par l’artiste. A l’image du peintre devant son tableau, tout peut être modifié, transformé, détruit. Le spectateur, privé d’un référant, peut alors le reconstruire selon sa propre interprétation. La seconde concerne la téléopération robotique où l’opérateur doit agir sur le monde par l’intermédiaire d’un corps mécanique. Ses nombreuses contraintes techniques liés à la focalisation sur la scène d’action ont pour conséquence un retour très réducteur de la vision. L’opérateur se trouve contraint de reconstruire en permanence un contexte, qui impact sur son interprétation d’une scène et sur ses choix d’actions. Ces deux situations se rejoignent sur la forme : deux cadres privés de leurs contextes, mais sont en opposition sur le fond. La lecture du cadre peut être aussi bien simple que complexe, facilitatrice ou complexifiante. Cette réduction par la focalisation du cadre de prise de vue se révèle plus complexe dès lors que le facteur humain entre en jeu. Pour l’artiste, ce cadre permet de développer sa création alors que pour le teleopérateur, celui-ci est un réducteur cognitif par le poids des contraintes techniques.

L’exposition

Concept

La réduction du cadre visuel par le biais de l’objectif d’une caméra permet à l’artiste de sélectionner un champ visuel et soumettre le spectateur à son interprétation. Ce champ visuel réduit peut insister sur un centre d’intérêt. Ce punctum dans l’image peut être un objet vivant ou non, un paysage, une temporalité, un son, etc. Sortie de tout contexte, l’image résultante, qu’elle soit fixe ou mobile, semble limiter l’information au centre d’intérêt.

Cette situation existante grâce à la technologie (la dimension du cadre) offre au spectateur deux options : accepter l’absence possible d’interprétation devant cette œuvre, ou tenter d’en reconstruire le contexte par le biais de son imagination et de son expérience propre. Son imaginaire est alors laissé libre pour toute interprétation possible.

La technologie robotique soumet l’opérateur robotique aux mêmes exigences que celles de l’artiste, avec la distinction de contrainte opérationnelle : pour agir sur le monde par le biais d’un robot que l’on téléopère, l’opérateur doit connaitre le contexte de la scène afin de prendre les bonnes décisions. Ce qui s’avère naturel pour le spectateur dans l’espace d’exposition, est une contrainte pour l’opérateur robotique qui agit sur l’environnement du robot.

En regroupant ces deux problématiques, les deux auteurs proposent une œuvre menant le spectateur sur trois niveaux d’observation de l’œuvre artistique, de l’opérateur robotique et du spectateur. L’expérimentation artistique consiste à laisser un robot téléopéré interagir librement avec le spectateur. Celui-ci est en situation habituelle d’une visite d’un espace d’exposition. Son champ visuel englobe le robot humanoïde, la salle et les autres visiteurs qui s’y trouvent. Il voit le robot déambuler, s’adresse à lui, le robot lui répond et une conversation entre l’être humain et la machine s’installe. Le contexte est ressenti compris et maitrisé par le spectateur. La réalité de l’expérience présente un élément supplémentaire : l’interaction entre les deux êtres humains se fait par le biais d’une machine qui stimule un effet de vie et de conscience. La réalité du spectateur est déjà une interprétation lorsqu’il converse virtuellement avec l’opérateur à travers le robot.

Le second niveau d’observation est celui de l’opérateur robotique : contraint par la technologie, son champ visuel consiste en deux vignettes vidéos 3/4 issues des captations des caméras vidéos embarquées dans la machine. Une caméra capte la partie haute, comprenant le torse et la tête de l’interlocuteur, et la seconde caméra capte la partie basse du champ visuel : les jambes de l’interlocuteur des hanches aux genoux. Entre les deux vignettes, il existe une partie non captée, réduisant encore les informations reçues. Les images du robot sont récupérées par l’artiste qui les interprètes et les retransmet dans l’espace sur un écran visible par le spectateur, lui montrant sa réalité interprétée par
son « interlocuteur » robotique et l’artiste non visible.

Présentation

Entrant dans une grande salle épurée, dégagée de tout élément pouvant perturber le champ visuel, le spectateur se laisse entraîner dans un univers mixte. Entre des cadres diffusant des vidéos, accrochés sur les murs, un robot en déambulation dans cet espace, et au centre, semblant descendre du plafond, un écran géant attire le regard. Chaque cadre, tableau animé, diffuse une série d’Instants. Le spectateur ne peut déterminer s’il s’agit d’une série qui suit un thème précis (la mer, la ville, les nuages, une scène de la vie quotidienne, une couleur), ou bien s’il s’agit de séquences aléatoires. 

De l’immobilité du cadre, le temps confère à l’image présentée une mobilité dans la durée. Le robot Pepper déambule librement dans l’espace. Ses gestes sont mesurés. Il peut parler aux visiteurs, apprécie l’espace et regarde aussi les instants. 

Le robot est blanc, quelques lumières de couleurs ornent ses yeux, ses oreilles et son buste. Le spectateur peut l’interpeler pour l’amener devant un instant précis, et partager avec lui son appréciation. Le comportement du robot est « naturel », c’est-à-dire identique à celui d’un être humain. Il est opéré en temps réel par un être humain non visible dans l’espace d’exposition. L’écran géant, en suspension au centre de l’espace, est conçu d’un matériau léger, lui permettant d’être traversé par les spectateurs et le robot, produisant une autre sensation d’appropriation du lieu.

Imaginaires et réalité

Par les manipulations des deux créateurs agissant en temps réel, le visiteur pourra voir une réalité de ce qu’il imagine être une discussion avec un robot, et des diffusions de paysages apparaissant comme réels et pourtant qui n’existent pas. Il s’agira pour lui d’être acteur dans l’espace afin de repousser les limites de son imaginaire et laisser place à de nouvelles interrogations.

Le Danseur d’Ombres est l’opérateur du robot humanoïde : celui qu’on ne perçoit qu’à travers les mouvements de sa « marionnette ». La technique permet un contrôle immersif et direct du robot : l’opérateur transmet ses mouvements et sa voix transformée au robot, et reçoit les données vidéo et sonores des caméras et les microphones du robot. Il dote alors le robot d’une humanité qui se ressent dans ses interactions avec un interlocuteur extérieur. L’interlocuteur, qui ne voit que le robot, peut échanger librement et naturellement avec la machine comme il le ferait avec un être humain, oubliant l’être humain caché dans la machine.

La transmutation du réel, correspond à la restitution d’une performance sur l’écran central. Se basant, en axe central de captations de vidéos d’une action réelle, il s’agit de se servir de ce flux principal d’informations comme couleurs primaires de la palette du peintre qui va réaliser son tableau vivant, au travers des situations captées. Ici la vidéo et le son captés du robot seront transformés en temps réel par l’artiste. Le résultat sera projeté sur l’écran géant. Le visiteur interagissant avec le robot pourra se reconnaitre (ou pas) sur cette projection centrale; interprétation de son interaction. Il pourra même être amené à douter de sa réalité, questionnant son premier regard sur les Instants, ces paysages imaginaires, et ainsi interroger le lien entre concept et percept.

Espace et temporalité

Les Instants. S’agit-il d’un tableau ? Le cadre est statique, la scène semble immobile, mais après quelques secondes l’oeil discerne un mouvement presque imperceptible. Le temps s’est introduit dans cette image. L’usage du ralenti ou de l’accéléré, le traitement de l’image dans sa lumière, sa couleur et son contraste, participent à ce dépassement du document vidéo pour transfigurer le réel et suggérer une peinture sans pigments, née d’un jeu de pixels. Chaque « Instant » proposé ne cherche pas à nous imposer une audace formelle. Il participe seulement d’un rapport au réel qui, en effet, nous ramène à la civilisation Orientale.

Dans une société où les valeurs de l’infime sont présentes partout et à tout moment, dans la délicatesse d’un geste, dans le recueillement d’un temple, dans les nuances d’une lumière, ce sont la retenue et la mesure qui établissent la relation au monde, avec toujours en trame sous-jacente cette quête minimaliste. Ici, s’écrit, dans la durée, les pages d’un récit vidéo dans lequel le détail prend le pas sur la vision générale.

C’est dans l’immobilité que la magie s’opère : celle du voyage et de l’émerveillement, mais c’est dans le mouvement que la connaissance arrivera jusqu’au voyageur, qui changeant de lieu, pourra décaler sa perception de l’instant sans modifier sa fascination. Le second lieu, celui des opérations, révèlera les techniques provoquant le déplacement des limites.

(im)mobilités

Equipe

Les créateurs

Sophie Sakka est enseignant-chercheur à Centrale Nantes, au Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes, spécialisée en cybernétique entre robot humanoïde et être humain. Elle est docteur en robotique de l'Université Pierre et Marie Curie, et a passé plusieurs années en expatriation : Angleterre, Japon et Italie. Elle a acquis des compétences en biomécanique humaine, robotique humanoïde, puis cybernétique, créant le lien entre ces deux entités : l'imitation des mouvements humains par un robot humanoïde, ou l’analyse d’impact d’une interaction “naturelle” entre un humain et un humanoïde. De par ses résultats à fort impact social en éthique et société, particulièrement sur la médiation robotique pour l'accompagnement thérapeutique des troubles du spectre autistique ou de la maladie d'Alzheimer, elle est élevée au grade de Chevalier à l'Ordre national du Mérite en 2016. Fondatrice de l'association Robots ! en 2014, elle en a été la présidente jusqu'en 2021.

Hervé Penhoat est Docteur en Art et Science de l’art de l'Université Panthéon-Sorbonne. Il est diplômé de l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris-Cergy et membre fondateur de l’association d’artistes chercheurs [ART]ère. Il a été maître de conférences à l’École Nationale Supérieure d’Arts de Paris/Cergy, conférencier à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Artiste international, ancien résident de la Cité Internationale des Arts de Paris, il vit et travaille entre la Bretagne, Paris et la Corée du Sud. Sa pratique utilise depuis de nombreuses années la vidéo, la photographie, le dessin et le son. Sa recherche, sur la mutation (au pluriel) du paysage contemporain, navigant entre l’analogique et le numérique, proposant une nouvelle définition du paysage, nous fait découvrir un cinéaste rejoignant la famille de Chris Marker, ainsi qu’un chercheur intéressé par les interactions technologiques et les nouvelles interrogations liant l’art, la robotique et l’intelligence artificielle.

Publications scientifiques

S. Sakka, H. Penhoat (2019).
Conversation sur le cadre réduit. Une expérience brachylogique entre science et art.
IIIe Congrès mondial de Brachylogie, Cadix Espagne.

S. Sakka, H. Penhoat (2021).
(Im)mobilités : D’une réalité imposée vers d’autres imaginaires.
Conversations (11), Revue des études brachylogiques, à paraître.

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